Nous sommes baignés dans un univers de phénomènes auxquels nos sens ne sont pas sensibles : il s'agit des ondes électromagnétiques.
Depuis la fin du 19ème siècle, les scientifiques ont mis au point des dispositifs permettant de recevoir et d'émettre ces signaux et à nous les rendre intelligibles sous la forme d'ondes sonores (de nature mécanique, auxquelles nos oreilles sont sensibles), de signaux lumineux (auxquels nos yeux sont sensibles), ou d'autres signaux électriques qui peuvent être traités par des dispositifs informatiques ou électroniques que les techniciens ont pu développer. Il s'agit de signaux artificiels, qui ont révolutionnés nos sociétés depuis bientôt 150 ans.
Mais bien avant l'apparition des technologies humaines, notre environnement est baigné par un océan de signaux électromagnétiques d'origine naturelle ; on peut citer, entre autre :
- les orages, qui provoquent des craquements lors de la réception des émetteurs de radio diffusion ;
- le soleil qui peut émettre, lors de certaines éruptions solaires, des ondes radio incohérentes et à large spectre sous la forme d'un souffle qui peut brouiller la réception des émetteurs de radio diffusion ;
- l'univers "profond" qui émet un spectre d'ondes lié à sa température (le bruit de fond cosmologique, découvert - par hasard - en 1964 - mais prévu par la théorie dès 1948),
mais dans des domaines de fréquence très élevées.
Il existe aussi d'autres phénomènes naturels qui émettent des ondes radioélectriques dans les domaines UBF (quelques Hz) et TBF (quelques centaines de Hz à quelques kHz), mais
dont l'origine est situé à proximité de la Terre dans l'ionosphère et la magnétosphère. Ils résultent de 2 types de phénomènes :
1- l'interaction entre le vent solaire, qui est un flux de particules émises par le soleil, et le champ magnétique qui entoure notre planète. Cette interaction produit
des ondes électromagnétiques dont la fréquence et l'amplitude dépendent, entre autre :
- de la masse de la particule : domaine UBF pour les protons ; domaine TBF pour les électrons ;
- de l'intensité et de l'orientation du champ magnétique terrestre ;
- de l'intensité du vent solaire ;
- de l'état de l'ionosphère où ces ondes se propagent : densité électronique, stabilité notamment.
Ces interactions produisent un ensemble d'ondes radio dont la fréquence n'est pas stationnaire (ce qui les fait rassembler à un gazouilli d'oiseaux), et qui peut durer des heures.
Une représentation (schématique) de ces phénomènes est donnée ci-dessous :
La première détection de ces phénomènes a eu lieu dans les années 1880, quand des perturbations, sous la forme de "sifflements" parasites, sont apparues sur les signaux électriques du téléphone transportés par les cables sous-marins. Mais à l'époque, aucune explication n'avait été trouvée.
Ce n'est qu'à la fin des années 1950 - et les premiers satellites - que ces phénomènes ont pu être expliqués, et que de nombreux programmes de recherches ont été lancés. C'est ainsi que plusieurs laboratoires de recherche français ont mis en place, depuis l'année géophysique internationale de 1957-1958, des moyens de mesure de ces phénomènes, notamment en Terre Adélie et à Kerguelen. Une synthèse et un bilan de ces études sont accessibles dans la note du CNES n°145 de 2002.
Il faut aussi noter que les équipes françaises, en collaboration avec des équipes soviétiques, ont développé et réalisé dans les années 1970 des expériences assez extraordinaires consistant à injecter dans la magnétosphère des électrons lors de vols de fusées, et à étudier l'effet de leurs interactions avec la magnétosphère : aurores, ondes TBF, pluie de particules chargées, notamment avec des capteurs à bord de la fusée et au point magnétiquement conjugué de Kerguelen situé à Sogra (1000 km au nord de Moscou).
C'est le programme ARAKS qui a donné lieu à plusieurs tirs de fusées, dont 2 tirs en 1975 à Kerguelen.
montage d'une charge embarquée ARAKS tir d'une fusée ERIDAN porteuse d'une expérience ARAKS
à TOULOUSE en septembre 1974 le 27/01/1975 à KerguelenCes expériences ont été des succès, et ont permis de beaucoup avancer dans la compréhension de ces phénomènes, et la connaissance de l'ionosphère et de la magnétosphère.
C'est dans ce contexte que j'ai intégré le Laboratoire de Géophysique Externe de St Maur des Fossés qui avait conçu et mis en place la station UBF/TBF de Kerguelen.
Avec mon collègue Jean François Lanselle, nous avons exploité et maintenu les moyens de mesure, et assuré l'enregistrement des signaux UBF/TBF reçus à Kerguelen
ou par des satellites défilants des programmes ISIS et GEOS.
Pour cela nous disposions :
- d'une série de capteurs (des gros bobinages) situés à proximité du Laboratoire, lui même implanté à 4 km de la base, pour éviter tout parasitage :
- d'une autre série de capteurs implantés dans une station automatique située à Pointe Suzanne, à 20 km à vol d'oiseau de la base, et télécommandée par une liaison numérique SHF sur 2 GHz :
- d'une station de télécommande et de réception de signaux UBF/TBF reçus par les satellites défilants des programmes ISIS et GEOS
- de divers moyens d'enregistrement et d'analyse des signaux reçus
- d'un laboratoire de maintenance électronique
A titre d'exemple, voici 2 fichiers audio qui illustrent à quoi ressemblent ces signaux radioélectriques d'origine naturelle que nous avons reçus à Kerguelen, une fois transposés
dans le domaine sonore :
- une série de sifflements dans le domaine TBF (0.5 à 5 KHz) déclenchés par des éclairs d'orages en Afrique centrale ;
- une séquence de signaux complexes dans la bande 0.1 à 10 Hz appellés perles. Ces évènements peuvent durer des heures et ne sont pas audible après conversion en signal audio car beaucoup trop bas en fréquence ; mais si on relit l'enregistrement audio 512 fois plus vite, les signaux sont décalés dans le domaine audible : ici de 50 à 5000 Hz.
N'est ce pas magique ? et encore une fois : ce sont des signaux d'origine naturelle !
Ces 16 mois passés dans ce Laboratoire ont constitué une expérience professionnelle unique et passionnante, avec des activités très variées
allant du dépannage électronique, de la programmation des premiers calculateurs PDP11 qui arrivaient dans le domaine scientifique,
de l'acquisition et de l'analyse des signaux géophysiques, la rédaction de rapports, le dialogue avec les scientifiques restés en Métropole, mais aussi de la plomberie, du terrassement,
de la mécanique,
et l'animation d'une station de radio diffusant de la musique 24h/24 sur la base, agrémenté d'interviews et de petites annonces !.